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Sangaris, l’effet papillon

 

 

L’opération porte le nom d’un papillon éphémère africain. Le Sangaris. Un nom comme un message pour l’armée française : l’intervention en Centrafrique devait être courte. Rapide. Lancée début décembre 2013, Sangaris a vu, à tour de rôle, les trois bataillons de Chasseurs alpins être engagés. Annecy. Chambéry. Puis Varces, près de Grenoble.

 

Depuis la base de M’Poko à Bangui, la capitale, où lors de leurs projections dans le nord du pays, leur mission était claire. Commune à tous les autres régiments déployés : restaurer le calme dans une Centrafrique en proie à une guerre civile extrêmement violente. Et permettre le retour d’un état avec ses services et sa sécurité.

Mais pourquoi déployer des Alpins dans une région où les montagnes sont quasi absentes ? Sans doute pour leur résistance aux milieux difficiles, hostiles. Et assurément, la Centrafrique en est un.

 

Maintenant que Sangaris touche à sa fin et que le désengagement français se dessine, quel est bilan de l’opération et plus spécifiquement des Alpins sur place ? Pour le savoir, nous avons suivi les hommes du 7e BCA de Varces. Rentrés il y a tout juste une semaine, le 19 juin, ils ne seront pas relevés sur place. Une preuve du succès de leur mission ?

Pourquoi cette
opération ?

Le déploiement
​des Alpins

La Centrafrique,
pour quoi faire ?

Quel
bilan ?

Le
reportage

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Sangaris,
​l'effet papillon

 Pourquoi cette opération ?

«La situation en Centrafrique est devenue alarmante et même effrayante. Des massacres s'y perpétuent en ce moment même, y compris dans les hôpitaux. Chaque jour, des femmes et des enfants sont violentés et des milliers de déplacés cherchent refuge »

Ces mots sont ceux du président français, François Hollande. Nous sommes début décembre 2013. Depuis mars, les rebelles de la Seleka ont pris le pouvoir en Centrafrique et font régner la terreur dans tout le pays.

La Seleka est en fait une coalition de multiples forces hostiles au président sortant, François Bozizé. On trouve dans ses rangs des mercenaires lybiens, tchadiens et soudanais. A coloration plutôt musulmane, elle accède au pouvoir dans un pays chrétien à 80%. La prise de pouvoir de la Seleka ravive les tensions ethniques à l’intérieur de ce pays qui a déjà connu deux guerres civiles depuis 2004. La Seleka prend le parti des ethnies musulmanes essentiellement établies dans le nord du pays et se livre à de violentes exactions contre les populations chrétiennes.

En réponse, des milices anti-balaka (initialement constituées pour lutter contre les coupeurs de routes du nord du pays) se révoltent. Ils se livreront, eux-aussi, à des massacres ethniques, notamment à Boali, le 2 décembre 2013. La situation semble alors complètement hors de contrôle. Le 1er novembre, un responsable de l'ONU, Adam Diene, avait prévenu : la République centrafricaine pourrait devenir le théâtre d'un « génocide. »

 

Alors, le 5 décembre 2013, par la résolution 2127, le conseil de sécurité des Nations unies autorise à l'unanimité le « déploiement de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MINUSCA) » pour une période de 12 mois, officiellement pour mettre fin à la « faillite totale de l'ordre public, l'absence de l'état de droit et les tensions interconfessionnelles ».

La MINUSCA sera épaulée par l’armée française. 

C’est le début de l’opération Sangaris qui doit désarmer les milices Seleka et Anti-Balaka. 1600 hommes sont déployés hâtivement depuis les pays voisins et vers la base de M’Poko, à Bangui, pour mener à bien cette mission. Mais dès le début du déploiement, les milices anti-balaka lancent une attaque dans la capitale. C’est le début de la bataille de Bangui. D’après Amnesty Internationale, en trois jours, les anti-balaka tuent 60 musulmans tandis que 1000 chrétiens sont massacrés par la Seleka. Partout dans le pays, et notamment dans le Nord ou le long des principaux axes de communication, des exactions d’une violence rare sont commises par les deux parties.

 

Jusqu’à la fin du mois de janvier, et malgré la démission du président issu de la Seleka, Michel Djotodia,  les affrontements se multiplient. La phase de désarmement ne commencera qu’au mois de février, une fois rétabli un niveau de sécurité relatif.

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 Le déploiement des Alpins 

S’il ne fallait retenir qu’un mot, ce serait « patrouille ». Au quotidien, les patrouilles rythment la mission des Chasseurs alpins en Centrafrique. Dans les rues de Bangui ou lors des déploiements dans le nord du pays. Leur but ? Faire du relationnel. Tant avec la population, ses représentants, qu’avec les autres forces armées présentes dans le pays : les FACA (forces armées centrafricaines) où les troupes de la Minusca, la mission de l’ONU. 


L’autre objectif de ces patrouilles est de collecter du renseignement. De prendre en quelque sorte le pouls du pays, de ses habitants, pour s’assurer que l’apaisement est bien réel.

Mais une question demeure : pourquoi envoyer en Centrafrique, en pleine zone tropicale et loin des montagnes, des Alpins ?


D’abord parce que les soldats de montagne sont d’abord et avant tout des fantassins. Et qu’à ce titre, la RCA correspond aux missions qu’ils sont amenés à remplir. Sans doute aussi pour leur endurance. Leur résistance aux milieux les plus hostiles.


Habitués aux conditions difficiles, autonomes et capables d’évoluer dans un environnement austère, les Chasseurs alpins n’ont finalement pas été dépaysés par la Centrafrique.

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 La Centrafrique, pour quoi faire ? 

Si le quotidien des Alpins se résume souvent à la patrouille, leur mission reste quand même bien plus large. Aujourd’hui, l’armée française prépare son retrait. A sa place, la Minusca, la force de l’ONU, doit prendre le relais. Forte de 12.000 hommes venus de plusieurs pays, pas seulement africains, cette mission des Nations-Unies a désormais pour objectif de faire régner le calme dans le pays.

Car désormais, le gros du travail est fait. Les principales milices ont presque toutes été désarmées. Leurs hommes démobilisés. Dans les villages, le quotidien est redevenu quasi-normal, bien loin des violences de l’an dernier. Et les réfugiés ont, pour la plupart, pu retrouver leurs maisons.

Fin avril, les Chasseurs alpins ont également été mobilisés pour assurer le bon déroulement et la sécurité de l’un des premiers grands événements politiques post-guerre de Centrafrique : le forum de Bangui. Une semaine durant, les responsables des anciennes milices se sont réunies dans la capitale autour du gouvernement de transition. Charge à eux d’élaborer un calendrier politique pour reconstruire le pays. 
 
Après bien des soubresauts, et même si les résultats ne sont pas forcément à la hauteur des attentes en raison de tensions persistantes, le forum a pu déboucher sur un accord. Sa principale annonce est la tenue d’une élection présidentielle avant la fin de l’année.

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 Quel bilan ? 

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Dix-huit mois. C’est donc le délai qu’il aura fallu pour restaurer un semblant de calme dans une Centrafrique en proie à des troubles d’une rare violence. Un délai bien plus long qu’espéré au départ. Pour une mission sans doute bien plus complexe qu’imaginée à la base.

Mais aujourd’hui, sur place, le calme est revenu. Si Bangui reste sujette à quelques tensions interethniques, les campagnes environnantes retrouvent, elles, une vie quasi normale.

 

Dans les villages, les habitants, effrayés et réfugiés en ville où dans les pays voisins, sont revenus. Le travail des champs a repris. Les écoles fonctionnent à nouveau. Le quotidien a repris son cours. Et les actes de guerre sont désormais plus que marginaux.

 

Un coup d’œil sur la carte du pays suffit à s’apercevoir que les foyers de tensions sont désormais très réduits. Pour cela, il a fallu désarmer. Lors de son engagement, l’armée française a commencé par cette mission. Non sans erreur. A en croire certaines ONG, à l’image de Human Rights Watch, les forces de Sangaris se sont d’abord trop focalisées sur le désarmement de la Séléka, la coalition des ethnies musulmanes. Laissant ainsi aux Anti-Balakas, les milices chrétiennes, la possibilité de répondre sans trop de risques aux horreurs dont ils avaient été les cibles quelques semaines auparavant. Les victimes étaient devenues des agresseurs. Et les agresseurs des victimes.

Pour autant, ce désarmement a pu être mené à bien. La démobilisation des milices également. Certes, il reste quelques factions armées dans les rues de Bangui mais elles se font désormais discrètes. Tenues à la sagesse par leurs chefs engagés dans un processus politique de réconciliation nationale.

 

Car courant mai, sous la surveillance des militaires du 7e BCA, la capitale centrafricaine a vu se dérouler un grand forum. Une réunion inédite qui a pu préciser les modalités d’un calendrier politique : formation d’une assemblée constituante, répartition du pouvoir, et accord en vue de l’organisation d’une élection présidentielle sans doute à la fin de l’année 2015.

S’il est loin d’avoir tout résolu, ce forum de Bangui, sous l’impulsion de la France, marque néanmoins de véritables progrès. Notamment grâce à une série de petites actions militaires aux grandes conséquences : la reprise du contrôle des deux axes routiers principaux du pays, les transferts progressifs d’autorité de la force Sangaris vers celle des Nations-Unies voire du gouvernement centrafricain, et la réinstallation de quelques préfets prêts à œuvrer notamment dans le nord du pays.

 

Ce sont toutes ces actions qui ont permis la tenue du forum, la montée en puissance de la mission des Nations-Unies et qui, aujourd’hui, amènent la France à se retirer. Alors, même si tout cela demeure fragile, la Centrafrique pourrait bien avoir retrouvé le chemin du retour au calme. 

Quid du stress post-traumatique ?

 

L’expression est désormais connue. Et reconnue officiellement. En Centrafrique, les soldats français ont été victimes du fameux « stress post-traumatique ». En cause ? La violence des combats de rue, leur côté soudain, intempestif, très rapproché. Les adversaires, difficilement identifiables car mêlés à la population. Et leur violence. Leur violence et ses conséquences sur des populations traumatisées.

Alors, en Centrafrique plus encore qu’en Afghanistan, le « stress post-traumatique » a fait des ravages parmi les troupes françaises. Aujourd’hui, 12% des militaires déployés sur place en auraient été victimes. Contre 6% lors de la guerre en Afghanistan.

 

Pour autant, les chasseurs alpins semblent plutôt préservés. Selon des chiffres communément admis par l’Etat-Major, ils seraient deux fois moins nombreux à en souffrir que les autres régiments engagés. Pourquoi ? Sans doute grâce à leur fameux « esprit de cordée ». Reliés sans cesse à la même corde lors de leurs exercices et missions en montagne, les Alpins ont sans doute développé une proximité et une culture de la solidarité qui leur permet de se préserver. 

Le retour


Aujourd’hui, l’heure du retrait a donc sonné pour l’armée française. Après 18 mois d’opération, le retour à la maison a commencé. Le 19 juin, les 242 Chasseurs alpins du 7e BCA déployés en Centrafrique sont rentrés sans être relevés. D’ici l’automne, le contingent français sur place devrait donc fondre : de 1700 à 700 soldats.

 

A la place des Français, la MINUSCA prend chaque jour un peu plus les choses en mains. Cette force de l’ONU, armée par douze pays, va également déployer, outre un volet purement militaire et sécuritaire, des volets économiques, sanitaires, éducatifs… Pour la Centrafrique, c’est une chance de reconstruction inédite à ne pas rater.

 

Accusations d'abus sexuels : une enquête difficile

La fin de la mission français en Centrafrique a été éclipsée dans l'opinion publique par l'affaire des accusations de viols d'enfants. Dévoilée fin avril par la presse anglo-saxonne, l'enquête avait  été ouverte en fait dès juillet dernier par les Nations-Unies. Des témoignages ont fait état de viols : des soldats auraient abusé d'enfants en échange de nourriture. Quatorze militaires français font l'objet de l'enquête judiciaire, mais aucun soldat alpin n'est concerné par ces accusations au moment de la publication de ce documentaire. Des actes impardonnables, s'ils sont avérés, qui viennent ternir un bilan stratégique pourtant satisfaisant.


CREDITS


reportage : Jordan Guéant / Maxime Quéméner / Sophie Villatte
webdoc textes et vidéos : Maxime Quéméner / Laëtitia Di Bin
réalisation web : Xavier Demarquay
photos : France 3 Alpes et AFP 


"Opération Sangaris, l'effet papillon" en 26 minutes